La légende...

(d'après "Le livre des êtres imaginaires" de Jorge Luis Borges, 1957)

 

 

Le squonk est une créature légendaire des forêts de Pennsylvanie du Nord. Les plus anciennes histoires sur le squonk sont perdues à jamais, mais sa légende remonte probablement à la fin du dix-neuvième siècle, quand l'industrie du bois de charpente était à son apogée en Pennsylvanie, grâce aux forêts de hemlocks, des arbres résineux dont l'écorce est riche en tanins.

 

Les squonks sont des animaux très timides et très laids. Leur peau malade est couverte de verrues et de cloques. Se sachant si laids, ils pleurent presque constamment, et se cachent sous les branches basses des hemlocks pour ne pas être vus. Leur peau serait apparemment très recherchée, mais il est très difficile de les capturer, en raison de leur nature extrêmement craintive. On les chasse en suivant la trace de leurs larmes, et ce sont les nuits de pleine lune, alors que les traînées de larmes scintillent doucement sur la terre, qu'il est le plus facile de les approcher.

 

Dans les années 1900, un certain Wentling a suivi une traînée de larmes, et quand il a entendu un squonk tout proche pleurer sous un arbre, il a réussi à l'approcher en imitant ses pleurs ; il a pu ainsi le capturer, et le mettre dans son sac pour le ramener chez lui. Mais alors qu'il approchait de sa maison, il a soudain senti son sac devenir plus léger, et lorsqu'il l'a ouvert, il n'a plus trouvé à l'intérieur que des larmes et des bulles… Les squonks se dissoudraient apparemment complètement dans leurs larmes lorsqu'ils se sentent acculés ou menacés ; d'où leur nom scientifique, « Lacrimacorpus dissolvens » (du latin (« larmes », « corps », « dissoudre »). C'est dans un livre de William T. Cox, édité en 1910 que nous avons trouvé cette histoire. Ce livre est hélas épuisé et (presque) aussi difficile à trouver que les squonks eux-mêmes. L'histoire du squonk a été reprise par Jorge Luis Borges, écrivain prix Nobel argentin, dans son « bestiaire des animaux fantastiques » ou « livre des êtres imaginaires» , publié en 1969.

 

Voici donc là toutes les maigres informations dont nous disposons sur le squonk...

 

Par ailleurs, dans les années 70, en France, une petite fille nommée Adèle, devenue inconsolable à son tour après qu'on lui ait raconté cette histoire, aurait décidé de tout quitter pour aller consoler le squonk. On n'a jamais su si l'anecdote était vraie, ni si la petite fille a réussi a trouver le chemin jusqu'aux traînées de larmes.

 

Certains racontent que peut-être, Adèle et le squonk sont heureux, quelque part ensemble, et que de leur union contre-nature serait née beaucoup de rêves fous, de projets insensés, de vastes et longs poèmes hybrides, irrévérencieux et superbes. Adèle et le squonk ne se cacheraient plus pour pleurer, mais pour s'aimer et réinventer un monde nouveau.

 

D'autres sont plus pessimistes et se taisent, inquiets de voir se réduire les forêts de hemlocks… D'autres enfin ne racontent rien, incapables d'imaginer quoi que ce soit.

 

Mais vous ? Peut-être avez-vous eu des nouvelles, d'Adèle et du squonk ? De source sûre ou moins sûre, peu importe, dites-nous vite ce que vous savez…

Et n'oubliez pas de nous laisser une trace pour vous retrouver, que nous ne vous perdions pas à votre tour…